Un... restaurant ?

Xavier repositionna son sac sur son épaule et regarda attentivement la porte qui lui faisait face. Elle n'avait aucun signe distinctif, mis à part peut-être le rectangle gris, vide, qui avait du contenir le nom de la pièce dans un temps éloigné. Il restait d'ailleurs quelques traits, mais rien qui ne pouvait servir à identifier la salle dans laquelle il s'apprêtait à entrer. Curieux, il poussa la porte... qui ne s'ouvrit pas. Il vérifia l'absence d'une serrure, pria qu'il n'y ai pas de verrou de l'autre côté, poussa plus fort. Il entendit un léger raclement qui le fit sursauter, et se retourner vivement.

* Tu débloques, mon vieux... *

N'empêche, l'espace d'un instant... Le garçon jeta un regard suspicieux sur le couloir vide et faiblement éclairé, puis retenta d'ouvrir cette fichue porte. Le raclement se fit de nouveau entendre, plus nettement cette fois, et provenant distinctement de devant, dans la pièce inconnue. Maintenant vraiment décidé à découvrir ce qu'il y avait derrière, et légèrement énervé contre la porte, il donna un coup de genou dedans, dans une tentative stupide pour ouvrir l'obstacle qui lui barrait la route.

Apparemment, la stupidité n'était pas bannie par ici, puisque la porte s'ouvrit d'un coup devant lui, dans un bruit de rouille, et toujours le même raclement. Fier de cette victoire solitaire, Xavier s'avança dans le noir, tâtonna, trouva l'interrupteur, alluma. Il découvrit avec stupeur des chaises éparpillées un peu partout, entourant des tables parfois renversées.

Un… restaurant ?

Ahuri, il rit nerveusement, se demandant pourquoi diable il y avait un réfectoire dans cet immeuble. Mais dans ce cas, que faisaient-ils eux-mêmes, pauvres ados, enfants et profs, pommés sans aucune raison, perdu dans ce qui semblait être une farce, une expérience, que sais-je, folle ? Dans un immeuble où choses rationnelles comme des chambres, une cuisine, un réfectoire, croisaient les irrationnels bruits de film d'horreur, l'enfermement contre leur volonté de pas mal de personnes civilisées, au XXIème siècle ?

Xavier se massa les tempes, chassant la migraine qui menaçait. Il n'avait pas assez dormi et se perdait en conjectures toutes plus folles les unes que les autres sur ce qui pourrait leur arriver. De toute façon, il doutait que ce soit quelque chose d'agréable, sinon on les aurait déjà laissé partir. Mais qui, "on" ?

* STOOOOP ! Arrête de penser à ça, Xavier, et occupe-toi de ce que tu as sous les yeux. *

Voilà qui était déjà plus joyeux. Un réfectoire animé chasserait les idées noires de tout le monde pour un moment. Il jeta son sac sur le comptoir à gauche, et s'affaira à ramasser les chaises et les tables, constatant en souriant que c'était une desdites chaises qui bloquait la porte jusqu'à son arrivée. D'ailleurs, la porte était toujours ouverte sur le couloir...

Lorelei était restée dans le hall deux petites heures à dormir, son sac pour oreiller et son manteau pour couverture. Bien sûr, elle aurait pu trouver refuge et sommeil dans les nombreux appartements que comptait l'immeuble mais la perspective de se retrouver seule et dans une situation aussi vulnérable ne l'enchantait pas vraiment. Cependant le malaise et l'inquiétude permanente qu'elle ressentait l'avaient vite arraché à un repos trop court et agité. Lorelei s'était retrouvée incapable de se rendormir. De toute façon, elle avait besoin de se dégourdir les jambes, l'inactivité la rendrait plus folle que cette angoisse rageuse qui commençait à la gagner. C'est pourquoi, elle se remit à parcourir les couloirs. En effet, comme beaucoup d'autres cette nuit, elle les avait traversé de long en large à la recherche vaine d'une issue. Des questions sans réponses, tout le monde en avait, souvent les mêmes qui revenaient : Pourquoi ? Dans quel but ? Et si Lorelei détestait tout autant patienter et ne pas comprendre, elle avait du se résigner à ne plus trop y penser dans l'espoir de découvrir un indice qui les mettrait sur la voie.

Elle avançait les mains dans les poches de son jean en pleine réflexion et ne se pressait pas. Soudain, elle s'arrêta net et releva la tête avec une inquiétude mêlée de curiosité. Un bruit mat comme un coup donné puis un autre plus frêle, un raclement... Peut être imprudente, Lorelei s'avança vers son origine probable, tourna à un angle, fit quelques pas. Oui ! Là, de la lumière sortant d'une salle ! Le coeur de la jeune fille battait à cent à l'heure. Qui était à l'origine du bruit ? Celui qui les avait cloitrer dans ce bâtiment ? Si oui ne devait-elle pas rejoindre les autres à toute allure pour les prévenir ? Ou devait-elle plutôt se faufiler pour entrevoir leur kidnappeur ? Ou... De surprise, elle haussa les surcils. Un rire ? La tension qu'elle ressentait se relâcha d'un coup et elle reprit sa marche. Finalement, Lorelei passa la tête par la porte curieuse mais prudente et constata avec soulagement que ce n'était qu'un d'entre eux.

Parfaitement rassénérée, la perspective d'un restaurant et mieux, d'un repas chaud l'enchantait. Car après tout, s'il y avait l'électricité, l'eau courante, des serviettes et des draps propres dans les chambres, pourquoi n'y aurait-il pas de nourriture ? Elle entra dans la pièce sans chercher à dissimuler sa présence. Tout le monde était sur les nerfs, inutile de faire peur à ce jeune homme en le surprenant. Néanmoins, compte tenu du fait qu'il remettait la salle en ordre, Lorelei n'était pas sûr qu'il l'ait entendu. Deux précautions valant mieux qu'une, elle se racla la gorge et s'avança à sa rencontre en redressant, elle aussi, une chaise au passage. Elle contasta qu'il était beau garçon mais les circonstances étaient suffisament préocupantes pour que cette remarque soit immédiatement oubliée sitôt qu'elle lui effleura l'esprit.

- Salut, moi c'est Lorelei. Je te donne un coup de main ?

Xavier, tout occupé à remettre les chaises et tables en ordre dans la salle, n'entendit la présence d'une intruse que lorsque celle-ci se racla la gorge et se présenta. Lui-même se redressa d'un coup, surpris de trouver quelqu'un ici. L'avait-elle suivi ? Peu importe, après tout, ils étaient tous dans la même galère. La première chose qui vint à l'esprit d’un garçon en voyant celle qui lui faisait face, fut qu'elle était belle. Très belle, même. Malheureusement, ou heureusement, il n'aurait su le dire, elle semblait plus âgée que lui. Et de toute façon, quelqu'un d'autre était, à ses yeux, beaucoup plus jolie.

- Salut, moi c'est Lorelei. Je te donne un coup de main ?

Sa voix était mélodieuse... Surtout après le raclement des chaises et des tables juste avant. Il sourit à cette pensée, et répondit.

Volontiers ! Moi c'est Xavier.

A deux, ils eurent tôt fait de mettre la grande salle en état. Xavier regarda le résultat, fit un clin d'œil à Lorelei et disparut derrière le comptoir. Il ignorait s'il y avait quelque chose à manger ou à boire, il pourrait de toute façon aller dans la cuisine à côté. La porte derrière lui menait en effet à la cuisine, on voyait le carrelage par le hublot qui la surmontait. En fouillant un peu, il découvrit une trentaine de verres propres, autant d'assiettes et de couverts, trois bouteilles d'eau pleines et...

VICTOIRE !

Le seconde se redressa d'un coup, brandissant fièrement une bouteille de coca. Il oubliait complètement que la situation n'était pas vraiment brillante à ces moments-là. De toute manière ils ne pouvaient rien faire, alors...

Notre mystérieux geôlier a décidemment pensé à tout ! Je te sers ?

Sans attendre de réponse, il poussa son sac, posa deux verres sur le comptoir et les remplit.

J’espère que quelqu’un ici sait faire la cuisine… Si on ne doit compter que sur moi, le menu ne sera pas très varié…

Lorelei ne s'attarda guère à lui prêter main forte et très vite le restaurant sembla de nouveau fonctionnel. Xavier semblait être quelqu'un d'agréable et de sociable comme en témoignait son sourire et son clin d'oeil. Lorelei en était heureuse, cela dissipait son inquiétude et un contact humain chaleureux était ce qu'il lui fallait pour ne pas sombrer dans le désespoir. Tandis que le jeune homme farfouillait un peu partout à la recherche d'un éventuel trésor culinaire, Lorelei s'assit au comptoir avec nonchalance, la tête posée sur son menton. Ses battements de paupières se faisaient plus rapprochés, elle n'allait pas tarder à se rendormir quand Xavier la fit sursauter en découvrant une bouteille de coca.

- Oui, s'il te plaît.

Elle était enjouée par la perspective de boire le liquide gazeux et sucré. Un maigre réconfort, certes, mais qui lui suffirait dans l'immédiat. De toute façon, Xavier ne l'avait pas attendu pour s'emparer de deux verres et remplir à merveille le rôle de barman. Son empressement tira un sourire à Lorelei qui s'élargit à ses paroles.

- Personnellement, je suis passée maître dans la concoction de sandwichs, mais je suis sûr qu'au bout d'une semainde de ce régime, on ne sera écoeuré par la simple vue de deux tranches de pain.

Elle saisit son verre que Xavier venait à peine de lâcher et but goulument et trop vite. Rapidement ses yeux devinrent humides, réactions à l'effervescence du coca et elle reposa son verre un instant avant que ce petit moment désagréable ne soit passé.

Xavier but son verre plus lentement que Lorelei. Il était habitué au coca, et avait déjà fait l'expérience de boire d'une traite un verre, pour un pari. Pas très agréable, mais il avait gagné. Il s'étouffa en buvant sa boisson en revoyant la tête que Ludo, son meilleur ami, avait fait et recracha la moitié de ce qu'il avait dans la bouche. Ce qu'il recracha dans son rire atterit sur le bar, juste entre lui et Lorelei.

Oh mince, excuse-moi.

Il se baissa rapidement, à moitié en riant, et cercha des yeux une éponge. N'en trouvant pas, il se releva, se retourna et en repéra une sur l'évier en face de lui. Il alla la chercher, passa un rapide coup pour essuyer le coca et la rejeta dans l'évier.

Panier ! Et le champion du monde de lançage d'éponge est : Xavier Cooper ! Merci, merci.

Il s'inclina devant un public imaginaire et devant Lorelei, reçevant d'improbables lauriers.

J'espère que j'ai gagné le droit de manger un sandwich préparée par notre experte en la matière ?

Il lui sourit, amusé par ses propres blagues et l'ambiance aidant. Au moins, le fait d'avoir répandu du coca sur le bar avait détendu l'atmoshpère encore plus. Il en avait complètement oublié qu'il était loin de chez lui et, à moins d'avoir des ailes, ne pouvait pas sortir d'un bâtiment très étrange. En trois mots : il était décontracté.

Lorelei rigola en levant les yeux au ciel devant ce nouveau basketteur en plein moment de gloire.

*Ah ! je te jure...*

Mais elle n'eut pas le temps de se moquer de lui que le victorieux athlète demandait une récompense. La jeune fille sourit à la façon des adultes devant un enfant qui vient de faire une bêtise mais qui les amuse.

- J'ai l'honneur de vous annoncer que le comité sportif vous accorde cette haute récompense.

Sur ce, elle se leva de son tabouret et le rejoignit de l'autre côté du bar. Après quelques instants de recherche, elle découvrit un placard qui était en réalité la porte d'un frigo et un autre où se trouvaient du pain de mie. Cependant, celui-ci était à une hauteur innaccessible pour la jeune fille qui était plus petite que les gens de sa taille. Avec un air désespérée, elle se tourna vers Xavier qui l'avait laissé farfouiller à sa guise.

- Est ce que notre basketteur aurait l'oligeance ?

Elle sourit puis ne s'en préoccupa plus, préférant retourner sur le plan de travail où, en experte, elle ouvrit des boîte, coupa, trancha, en attendant de recevoir les tranches de pain.

[Hj : Désolée pour le retard. ]

Xavier fut presque surpris de voir sa requête accepté, et il n'en fut que plus joyeux.

C'est trop d'honneur.

Il s’inclina une nouvelle fois dans une courbette ridiculement compliquée, et se percha sur un haut tabouret qui entourait le bar. Il préférait ne pas aller dans les pattes de Lorelei, de peur de l'embêter et de se faire rabrouer. Eh oui, amuser la galerie c'était bien, mais si c'était pour se faire engueuler après... Très peu pour lui, merci. C'était également pourquoi il était toujours sage en classe. Enfin, sage... Pas trop casse-cou dirons-nous.

L'Asiatique lui demanda alors d'attraper un pain de mie en sachet qui se trouvait apparemment un peu haut pour elle. Il la regarda surpris, pensant qu'elle aurait très bien pu prendre un tabouret ou même sauter pour l'avoir, puis il se fit la réflexion que ce que lui aurait fait ne s'appliquait certainement pas à tout le monde, encore moins aux filles.

Pas de problème, je te fais ça tout de suite !

Le seconde sauta de son tabouret et s'avança pour atteindre le placard en hauteur. D'un geste expert (on lui demandait souvent d'attraper des choses chez lui aussi) il prit le sachet de pain de mie, l'ouvrit, en sortit quelques tranches et les tendit à Lorelei.

Vos désirs sont exaucés !